Six degrés de séparation
« Nous sommes tous connectés les uns aux autres par l’intermédiaire des amis de nos amis ».
Une croyance profondément ancrée parmi les internautes voudrait ainsi qu’il n’y ait que « six degrés de séparation » autrement dit six individus seulement, entre vous, moi et n'importe quel autre individu, qu'il vive à Paris, à Safaga ou à Taïpei.
C’est une idée poétique qui a fait son apparition en 1929 : le Hongrois Frigyes Karinthy écrit une nouvelle intitulée « Chaînes » où il évoque pour la première fois l'idée que nous serions tous reliés sur cette Terre par une chaîne d’individus d’au maximum 5 personnes. Ce credo ressurgira ici et là dans la littérature romanesque du XXème siècle.
En 1967, Stanley Milgram s’empare du concept et tente un début de validation empirique. Si Stanley Milgram est le psychologue social le plus influent de son époque (on lui doit des travaux passionnants sur la soumission à l’autorité), cette expérience dite du « petit monde » ne casse pas trois pattes à un canard.
Le brave Stanley avait choisi au hasard des habitants d'Omaha, Nebraska, et leur avait demandé d'expédier des colis à un habitant de Boston identifié par son seul nom et son métier (courtier); jamais son adresse. Les expéditeurs devaient envoyer le colis à une personne qu'ils connaissaient, et qui leur paraissait être la plus susceptible de faire progresser le colis vers Boston. Sur les 296 individus des groupes de départ, 217 ont accepté de participer à l'expérience et ont expédié le dossier à une de leurs connaissances, et finalement, seulement 64 malheureux dossiers sont parvenus jusqu'à l'individu-cible, au terme de chaînes de connaissances de longueurs variables, mais dont la longueur moyenne était de 5,2 intermédiaires. Notez que plus de 150 chaînes de liens n’ont jamais abouti…
En 1978, les chercheurs Ithiel de Sola Pool (MIT) et Manfred Kochen (IBM) tentent de prouver mathématiquement la validité de cette thèse mais n’y arrivent que partiellement. Vous pouvez toujours essayer de vous y coller : « Soit un ensemble de N personnes, quelle est la probabilité que chaque membre de N soit connecté à un autre membre via k_1, k_2, k_3 ... k_n liens ? ». Bon courage…
L'intérêt pour ce concept de réseau mondial est réapparu avec la croissance d'Internet: en 1998, Duncan Watts tente une nouvelle expérimentation susceptible de démontrer l'existence du concept. Quelque 61 000 personnes éparpillées dans 166 pays ont été contactées afin de reproduire l'expérience de Milgram, mais cette fois par courrier électronique. Les cibles étaient au nombre de 18 réparties dans 13 pays (un inspecteur des archives en Estonie, un policier australien,…). Le taux de participation a été faible (moins de 40%), ce qui fait que seulement 24000 chaînes ont démarré. Mais 384 de ces chaînes ont fini par atteindre leur cible. En 5 à 7 intermédiaires.
Ce qu'il faut retenir, ce n'est pas que l'étude de Duncan Watts permette un début de validation très empirique des six degrés de séparation. Car la démonstration est finalement assez faiblarde.
Non, ce qui est passionnant c'est de se demander pourquoi certaines chaînes ont réussi là où d'autres ont péniblement échoué. Qu'est-ce qui peut bien caractériser les individus qui ont contribué au succès des chaînes efficaces ?
A votre avis ?
Pour aller plus loin :
Frigyes Karinthy (1887-1938), publie en 1929 dans le recueil Minden masképpen van une nouvelle intitulée van Lanczemek (« Chaînes ») où il écrit (traduction anglaise) :
“To demonstrate that people on Earth today are much closer than ever, a member of the group suggested a test. He offered a bet that we could name any person among Earth’s 1 1/2 billion inhabitants and through at most five acquaintances, one of which he knew personally, he could link to the chosen one »
An Experimental Study of the Small World Problem, 1969, Sociometry, Vol. 32, No. 4. (1), pp. 425-443 (auteurs : Travers J, Milgram S)
Milgramn, S. The small-World problem. Psychology Today, 1967
Pool, I. de Sola and Kochen, M. Contacts and Influence. Social Networks 1(1), 5-51 (1978).
Guare, J. Six Degrees of Separation: A Play. (Vintage Books, New York, 1990).
Six degrés de séparation, film de Fred Schepisi avec Will Smith et Donald Sutherland (1994).
Watts, D.J. and Strogatz, S.H. Collective dynamics of 'small-world' networks. Nature 393, 440-442 (1998).
Kleinberg, J. Navigation in a Small World. Nature, 406,845 (2000).
Watts, D.J., Dodds, P.S., and Newman, M.E.J. Identity and search in social networks. Science, 296, 1302-1305 (2002).
An Experimental Study of Search in Global Social Networks. Peter Sheridan Dodds, Roby Muhamad, and Duncan J. Watts Science 8 August 2003: 827-829 |
Il semble plutôt que Milgram se soit inspiré de l'essai "Contacts and Influence" de De Sola Pool et Kochen, et non l'inverse. (voir par ex. http://en.wikipedia.org/wiki/Small_world_phenomenon, ou l'essai lui-même). L'essai ne fut publié que plus tard.
La validation empirique a avancé en étudiant les reflets informatique des interactions sociales dont nous disposons aujourd'hui. Je pense notamment aux travaux sur les contacts téléphoniques: Aiello, W. and Chung, F. and Lu, L. {A random graph model for massive graphs}
De toute façon, l'algorithme très simple publié par Watts et Strogatz dans Nature prouve que la création de rares "raccourcis" est suffisante pour créer cette faible distance. Qui n'est donc plus surprenante.
Sujet difficile, autour duquel s'est en effet formée une perception populaire un peu simpliste. Comme vous dites, de nombreuses analyses du phénomènes ne "cassent pas trois pattes à un canard" !
Rédigé par : SamT | 08 février 2009 à 22:35
N'aurais tu pas lu "le peuple des connecteurs" de Thierry Crouzet?
Si tel n'est pas le cas, je te le conseille vivement, il contient de nombreuses anecdotes au sujet des réseaux sociaux et de l'interconnectivité des choses...
Rédigé par : Nico | 21 avril 2006 à 13:38
Pem -> Oui, tu as bien compris le principe ! Cependant, je ne pense pas que le 1er ministre puisse faire grand chose pour toi : notre monde est si complexe que l'action politique est devenue vaine. Il faut s'organiser autrement : la clé est peut-être dans les réseaux sociaux...
Rédigé par : Jean-Christophe | 03 avril 2006 à 12:13
Si je comprends bien, je peux écrire à notre premier ministre en mettant juste son nom et sa profession et il recevra mes doléances...
C'est beau le monde moderne !
P.S : Comment on fait pour que celles-ci soient prises en compte :-D
Rédigé par : Pem | 03 avril 2006 à 11:28
Comme on dit chez Disney : "it's a small world after all, la-la-la..." !
Rédigé par : Jean-Christophe | 02 avril 2006 à 05:21
eh ben, le monde est bien petit ;)
Rédigé par : meriem | 02 avril 2006 à 03:57